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          Le mot





(Photo Philippe Boussion)



        Ouvrir un livre, regarder dans les mots et voir jaillir des images autres.
        Paréidolie des mots.
        Les mots sont des prisons qui ouvrent les portes des rêves.
        J'embarque sur des mots. Je suis menotté et j'ai des fers aux pieds dans cet aéronef.
        Sur le quai du livre je vois le sourire de ma femme qui me fait un petit signe de la main parce qu'elle devine le voyage qui va commencer pour moi. Elle sait que ces fers libèrent de toutes lourdeurs fossiles.

        J'ouvre les pages et je me laisse bercer par ce doux tangage. Il y a des printemps et des lacs transparents. Il y a des couchers de soleil et des forêts bleues, des montagnes et des mers lointaines. Des animaux et des humains. Il y a les chevauchées lointaines des cosaques, il y a des légions romaines et des hommes qui deviennent hommes. Le mot sapiens. Il y a des histoires d'amour et des guerres. Parfois les deux se mélangent.
        Une aventure inattendue se cache derrière chacune des pages. Il y a toujours plein de détails pour fixer la lecture dans le sens du mot mais il y a tant de dérives en moi que l'évocation de la rumeur des mots m'enlève et m'entraîne vers des contrées inhabituelles, dans des climats exotiques.
        Aux oiseaux qui volettent autour de moi, je jette des poignées de mots. En les emportant, ils dessinent des arcs-en-ciel sous les nuages blancs. Ils griffonnent des orages et des aurores colorées.
        Les mots peignent le ciel avec les pinceaux des oiseaux.

        Géographie du mot. Le mot est l'Afrique. Je caresse la peau du mot. Je caresse la peau de l'Afrique. L'Afrique est une femme noire et je touche son ventre de gazelle.
        Le mot est le grand nord, il vient de l'autre coté du monde. Il se nourrit de l'effondrement de la lumière et est le souffle des étoiles. Il est la respiration de l'âme.
        Le mot est musique. Le mot vole sur la musique. Le mot est le rythme de la musique. Il est la lumière du mot. La musique est rêverie, elle libère du mot.
        Les paysages des pages défilent. Les pays-pages sont l'écho des mots. Ils sont le vertige de nos lectures.

        Je suis un galérien de la lecture enchaîné à ma trirème. Jusqu'au naufrage. Tout au bout des pages. Au mot ultime qui casse l'hallucination du voyage.

        Fin de l'onirisme, du songe. La rêverie quitte la page. La réalité du mot gagne sur l'hémorragie de l'imagination.
        Le mot FIN. Quand il faut se libérer des ses chaînes et poser son livre sur un coin de table.
        Le mot FIN derrière lequel gambadent déjà les souvenirs et la nostalgie du voyage.

        Orphelin du mot.