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         Les grands-mères





(origine photo inconnue)



        Près des cheminées, elles tricotent les mots qui nous ouvrent des percées invisibles. Leurs doigts dans la laine nous racontent des lieux où seule parle la douceur. Les grands-mères posent des poèmes sucrés sur les lignes de la laine.
        Penchées sur leur linge quand elles cousent des boutons, les grands-mères se tiennent toujours à côté d'un bouquet. Elles fleurissent le cou des enfants qui s'agenouillent à leur jupe et allument leur joie et leur tendresse.

        Les grands-mères ne racontent pas ce qu'elles perçoivent derrière la vitre quand elles regardent par la fenêtre. Aux carreaux, elles laissent les empreintes de leur vie. Séparées du boucan du monde, loin du désir de jouer, elles vivent dans le silence des étagères. Même table solitaire dans la cuisine toujours propre, même bol, mêmes couverts posés sur la nappe. Les choses simples pour le repas.

        Quand mangent les grands-mères, on dirait qu'elles butinent des miettes.

        Paysage de silence mais pensée tendue et souriante vers les itinéraires sans imprévu du passé. Déficit de mots comblé par les ronronnements du chat et les oiseaux de la fenêtre.
        Elles retournent leurs souvenirs à la recherche des joies anciennes parce qu'il faut bien arracher la vie à la pesanteur du temps qui devient si engourdi et si tyrannique. Quand elles se lèvent, on dirait qu'elles marchent sur un plancher vacillant et qu'elles balaient le sol. Elles ont cependant le bonheur tout entier de marcher et la faim emerveillée du lendemain. Sous elles, sous l'usure du corps, miroite leur mémoire.
        Parfois, pour continuer la vie, elles prennent leur canne puis, sans bruit, partent marcher dans leurs évocations en espérant croiser une amie, un intime, pour se diluer ensemble dans l'hécatombe du temps. En ces heures amollies dans le veinage des absences, les grands-mères éprouvent comme une envie de ramener la lumière en soi.

        Les chansons des grands-mères, arrachées aux épines de leur gorge, nous font des couronnes d'amour aux mille alvéoles. Chansons qui poursuivront leur vie par dessus l'épaule du temps comme des balises pour nos pas. Des petits airs pour la continuité du bonheur.


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Gestes lents d'une songerie sans désir
Sans issue
Vol immobile, tout est calme
Seules au soir elles pleurent du bout des doigts.



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        Quand les grands-mères se pencheront sur le bord du ciel bleu, quand elles déserteront le chemin, elles laisseront sur nos lèvres le goût des sillons qu'elles auront tricotés. Alors, les abeilles qui palpitent au milieu du lin bleu viendront enfouir du miel dans leurs pas en allés.

Ecoutez chanter une grand-mère - Elizabeth Cotten

     (*) Guitariste gauchère autodidacte, Elizabeth Cotten a développé son propre style original. Son approche consistait à utiliser une guitare pour droitier (généralement à l'accordage standard), sans la re-corder pour les gauchers, essentiellement en tenant une guitare pour droitier à l'envers. Cette position l'obligeait à jouer les lignes de basse avec ses doigts et la mélodie avec son pouce. Son style caractéristique de basse alternée est connu sous le nom de "Cotten picking".