Modifier



          Mémoire








        Les souvenirs sont les instants qui éclairent l'expérience.
        Ils ont des traces de vides mais l'empreinte vit toujours en soi comme les clignotements d'un feu qui raconteraient les longs glissements de nos chroniques vers notre mémoire.
        J'aimerais écrire ces empreintes pour qu'elles soient visibles en l'autre.
        La mémoire est l'écriture du caché, du presque, de l'oubli, du rien, de ces mirages qui nous viennent de loin, de tout ce qui est versé dans nos jadis.
        La mémoire est l'arrière plan de notre pensée, le lieu trouble de notre existence, le grand creux qui dort en nous. Elle ne nous retient pas d'exister, elle ne déguise pas notre pensée, elle est simplement enfouie sous nos pas. La mémoire est l'écho de nos lointains empires qui mènent notre recherche compulsive du nouveau, elle est l'examen de nos consciences.
        La mémoire est notre résignation à l'éternité, elle nous dispense à l'égarement, elle est le plaisir quand on retient le vin en bouche.
        Regarder sa mémoire c'est être. C'est sentir son propre regard posé sur les formes amollies de sa pensée près de l'état second qui précède le sommeil.
        Regarder sa mémoire c'est se laisser happer en se coupant de tous ses sens, en se libérant de sa conscience.
        La mémoire dénoue l'esprit, elle offre l'expérience d'une ouverture vers sa propre rencontre, vers son héritage profond. Mais aussi l'expérience de ses enrichissements, de ses émerveillements, de ses échancrures vers les mondes des autres, vers ces écritures qui ne nous appartiennent pas mais qui sont notre destin, notre harmonie, nos émotions du présent.
        Notre monde est en connexion permanente avec la mémoire ouverte sur le présent.
        L'autre a écrit notre vie avec nous. Sur les lèvres des autres nous lisons les cris et les lamentations, l'amour et l'érudition, la liberté et l'entrave... Formules éprouvées dans le chaudron de la vie, feux d'artifice de la parole publique. Être vivant c'est être incrusté par sa propre mémoire mais aussi par celles des autres.
        Les mots parlent en nous, ils s'inscrivent dans nos corps, ils brûlent nos gorges, en silence ils recueillent notre temps et font défiler l'infini. Alors nos souvenirs décrivent le monde. Alors le monde danse avec nos souvenirs, il nourrit notre cœur et reconstitue les strates de notre mémoire.
        La mémoire du monde est notre libre errance.

Ecouter la mémoire de Serge Gainsbourg