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          Arabie








     Les nuages qui filent vers l’est ont comme une urgence à occuper l’espace tandis que le ressac, éclaté au bateau, fructifie l’averse qui s’abat sur le pont. Sous mes pieds, les deux hélices brassent les eaux arrogantes de la mer rouge et j’entends leur long monologue commentant la traversée vers le port de Djeddah en Arabie Saoudite.

     Du grand port de Massawa, on n’aperçoit plus que quelques formes clandestines, au lointain, derrière une insaisissable brume.

     La mer nous harcèle de ses vagues courtes et croisées qui agonisent le long de la coque en chuintant. Elle construit son territoire en fourbissant les pulsations de sa houle et en rameutant ses vagues ardentes. Le vent qui hennit bruyamment, abat ses poings sur le calvaire de la mer, cette infinie martyre sacrifiée éternellement aux tempêtes.

     Lorsque les hélices sortent de l’eau, il y a comme un énorme bruit de succion. Le métal tournant à pleine vitesse heurte l’eau si durement qu’il produit un gigantesque maelstrom qui part vagabonder très loin aux vagues bleues.

     Je vais voir de l’autre côté de la mer, ce pays où tant de légendes éclosent aux sables du désert, aux sangs des sabres de la justice ou aux pierres des lapidations (1).

     La mer accompagne ce long rivage des caresses de son écume. On sent encore cette pudeur marine loin derrière les dunes embrasées par un concentré de soleil.
     Des miles verts et des miles bleus pour des kilomètres ocres et jaunes.

     Du port où nous sommes amarrés, j’écoute le mirage du chant céleste de la lune au-dessus de la Mecque. Note unique et sentimentale. Note lancinante.

     Je pousse la porte d’El Ballad (2) et je rentre au souk, émerveillé des parfums, étoffes traditionnelles, épices, abayas (3) bigarrées, cuivres rutilants, métaux et pierres précieuses au secret des tiroirs, vieilles maisons avec moucharabiehs.
     Demeures secrètes cachées par de colossales portes multicolores, palaces magnifiques, palpitations ivres des yeux et du cœur, bouillonnements des sens aux ambiances arabes, torpeur des terrasses aux assemblées de narguilés alanguis d’épais tabacs parfumés à la menthe, étourdissements multiples des sens, des couleurs, des parfums, des émotions parmi une foule curieuse de tout ce que propose la rue.

     Présent perpétuel de ces rues colorées. Comme si n’existait pas le temps.

     A Djeddah, le temps est en retard.


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         J’ouvre le livre des rues à l’angle de mes expériences
         J’observe le mouvoir d’autres destinées.
         Singulières considérations sur les ouvertures des âmes.


         Je trouve mes origines dans les yeux des autres
         Dans leurs chemins dépouillés et leur sourire paisible.
         J’inspecte les jours que me donne le monde.



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     J’aimerais entrer dans les maisons de cette ville, ces maisons qui ruissellent de lumière dans les ruelles de poussière. J’aimerais découvrir cette jouissance de pénétrer dans les passions cachées de ces murs étincelants.

     Midi brûle ardemment, ici, dans les venelles de soleil où sautille prestement une enfant aux yeux jaunes comme deux fleurs d’ambre. Brillance d’un regard à l’humeur vagabonde et voluptueuse sous les vibrations d’un muezzin qui lance son Adhan (4) sur la grande ville.

     Peuple arabe, j’aimerai écrire mon nom sur la porte de ton monde.
     Peuple arabe qui chante ses propres chants et joue ses propres tambours sur les partitions de son identité.

     Écho d’une humanité qui entre dans ses propres pas.

     Ardeurs des prières sous les rugissements du soleil.
     Peuple emprisonné par le sucre des prières.
     Femmes cachées quelque part au bout d’un pays absurde, mots d’amour enfermés sous voiles.

     Ici, en Arabie, le combustible n’est pas le soleil mais la prière.
     Ici, l’homme voit le sourire de la femme uniquement dans les pétales de la fleur.
     Ici, les sens sont un outrage. A croire que les chairs sont sans mystères.

     Peuple esclave des vertiges (vestiges) noirs de la terre, de ses floraisons souterraines qui sont comme les vierges de l’au-delà.
     Peuple aux princes qui construisent leurs pays sur des orchidées noires.
     Princes grincheux des déserts caniculaires qui donnent les pleurs et les rires sans savoir le bien ou le mal.
     Princes des sommeils fanés ayant la poésie de la mort pour seul cri.
     Princes des châteaux pétrifiés, combattants de l’impur et des fièvres du désir.
     Princes des fissures de l’existence au soleil de cendre ponctué des amputations exemplaires.
     Princes du toilettage publique à coup de sabre sur la nuque.

     Peuple d’Arabie, frère quand tu chantes, mais frère hostile quand tu brûles.

     Un jour, je fus étranger au pays d’Arabie.


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        Je me protège des peuples immobiles
        Orphelins de réponses
        Sans chemins de traverse
        Aux hermétiques évangiles.



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  1- En Arabie Saoudite, les vendredis, il y a des exécutions sur les places publiques,
  2- Medina de Djeddah. Centre de la vieille ville.
  3- Vêtement féminin.
  4- Appel à la prière.