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May
May 18, 2020, 12:35 pm

     Mer aux vitraux teintés de clair et d’insaisissables obscurs, horizon de brume bleue à l’essence d’ylang-ylang, vastes plaines tourmentées par d’immenses baobabs figés dans leurs siècles comme d’éternels épitaphes, immortel pain de sucre qui pagaie comme un tambour à la fête dans les rêves d’une baie ensommeillée. Madagascar, qui accroche ses forêts le long des fleuves rouges de l’océan indien, m’a pris la main dès mon arrivée et a soufflé sur moi la chair de son haleine en traînées incandescentes.

     Être nouveau sur une terre et voir la misère qui promène ses hardes dans de vieilles rues terreuses.
     Être jeune homme ingénu et voir, étonné, sourire cette pauvreté distinguée.
     Je foule la terre malgache et je passe du doux pays de mon enfance à celui d’une humanité de lumière qui habite des champs de joie, un peuple qui habite dans la pluie fastueuse et brillante des mots et du rire.
     Je suis bercé par les houles profondes et les souffles du tropique. J’ai en moi l’ardeur des alizés tandis que de bleus nuages construisent mes songes. Habitué au travail de mon cheval vénéré, je n’ai jamais pensé partager la joie d’un bateau en acier ouvrant de larges sillons blancs dans lesquels s’engouffrent les dauphins. Labour euphorique des vagues par une coque qui coupe les enchevêtrements des mers du monde.

     J’ai dansé aux musiques de Diégo et de Nosy Bé, je me suis brûlé aux baisers du soleil de Tuléar (Toliara), au lac sacré d’Anivorano, j’ai vu la peur du zébu flairant l’odeur de la lame sacrificielle. Je me suis piqué aux barbelés de Nosy Lava, à Tamatave (Toamasina) j’ai nagé dans l’eau salée des cachalots, sur le «Bord» de Mahajunga j’ai caressé la peau lustrée d’un immense baobab.

     J’aspire, dans le grand large, les vents qui interrogent l’horizon et aux matins calmes des mers d’huile, je m’éveille, charmé par les plongeons des poissons volants.

     Sur l’eau, la nuit ne s’arrête pas, même aux attaches de la mer sur les itinéraires du vent, alors qu'à l’autre bord du monde, le ciel chavire sur le sable où fleurissent des peaux qui m’émerveillent.


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          Un ciel bleu immense palpite comme un regard
          C'est un appel au voyage dans cette transparence
          Pour conjurer les yeux aveugles de mes petits espaces
          Bien avant que s'installe la nuit et ses émois.




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     Le bateau me porte vers les rides du monde et vers ses beautés, vers des terres pauvres et vers des fruits vigoureux, vers des marécages infinis et des fleuves rougis par la souffrance des sols, vers les lambeaux du temps où n’existent plus les saisons.

     J’aime écouter les violons de l’océan qui court à perdre haleine vers l’aveuglement des exils, cette puissante dynamique au son des vagues qui mène à la paix. J’aime voir les tribus de poissons venir au soleil chercher la surface des choses. La mer ici est une ruche où s’étreignent les longues houles du sud sous la garde d’un aviso armé nommé Commandant Bory.

     Il y a aussi la mer sauvage qui lance ses missiles contre la coque des bateaux, avec la colère des chevaux blancs de l’écume qui galopent dans les hurlements des tempêtes. Tout est beau dans ce paysage mobile et bruyant et j’aime les empreintes de ces rauques éblouissements qui inventent les nouvelles peintures de ma vie.

     Je me construis une nouvelle identité sous la paume d’un nouveau territoire. J’ai des utopies de conquêtes et j’envisage plein d’issues aux fictions de mes jeunes rêves. J’élabore ma nouvelle existence sur des parcours maritimes loin des brassées d’herbes jetées dans la charrette de mon enfance.
     Dans les cafés des ports où les liturgies sont salées, on porte des toasts d’ivresse aux souvenirs des filles de l’océan et on boit cul sec, noyé dans les nébulosités incandescentes de nos gorges. Souvent, on pousse nos chaises pour danser n’importe quoi en titubant, et peu importe le piano désaccordé. Enfin, loin dans la nuit, à la croisée de nos onomatopées et de nos équilibres, on quitte nos verres aux parois chancelantes.

     Nos corps sont friands et s’affranchissent des ramages de la vertu. Dans le fond des bouteilles, il y a toujours un cœur pour nous offrir un acompte sur le bonheur et un corps qui murmure des confidences d’amour.

     Mais dans ce pays d’alizé et de corail, de baisers et de caresses, d’amitiés et de rires, se fomentent parfois de cruels tourments.

     Madagascar cache ses pleurs sous ses intrépides cieux.


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          Des aurores sanguines aux nuits barbares
          Ils greffent des flammes aux chants des colombes
          Et les délires des bombes aux déchirures charnelles.


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