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         Billie Holiday


             (1915-1959)

             Les gardénias de la paix.



    Billie Holiday a pris ses biberons dans les bars et les maisons closes de Baltimore.
    On mettait du jazz dans son lait et des viols dans son enfance.
    A 14 ans elle s'installe avec sa mère dans le bordel le plus connu d'Harlem.
    Elle va creuser ses octaves avec les notes du jazz, avec les bleus et les coups qu’on lui donne. Elle porte dans sa voix la détresse des femmes noires et la révolte de la communauté noire.
    A la suite d'une descente de police elle sera arrêtée et incarcérée dans le pénitencier de l’île de Welfare Island pendant plusieurs mois.
    A sa sortie elle chantera dans les nombreux bars qui proliférèrent durant la prohibition.
    Elle croisera le saxophone de Lester Young et deviendra Billie Day. Lui sera son Prez.

    La voix de Billie Day est une colombe céleste qui flotte sur le velours du saxophone de Prez.

    New-York, 1939. C'est le début des droits civiques. Billie Holliday va chanter la première Song Protest au Café Society à Greenwitch village. C'est la première fois que l'on chante le lynchage, que l'on chante "ces corps noirs qui se balancent dans la brise du sud, un étrange fruit dans les peupliers"(1).
    C'est le premier cri chanté contre le racisme, 16 ans avant le refus de Rosa Park de céder sa place à un blanc dans un bus de Montgomery.
    La haine raciale des blancs mise en musique pour l'oreille de tous.
    La musique qui arrache le cœur. Le pouvoir rédempteur de la musique. La flamme qui glisse dans les fissures de la moralité blanche.
    Billie est devenue la voix des noirs. Elle est celle qui force une nation a s'interroger sur ses pulsions racistes.
    Pour cette chanson elle sera emprisonnée.

    Et Billie monte, monte. Billie a un succès énorme, elle gagne beaucoup d’argent.
    Le FBI insiste pour qu’elle arrête de chanter «Strange Fruit» mais Billie ne veut pas abdiquer ses convictions et son engagement.

    Elle est traquée par le FBI, minée par ses malheureux mariages, par la drogue et l’alcool. Billie se perd, Billie est douloureuse. Billie titube. Billie s’écroule.

    Il faut écouter la tristesse de «I'm a Fool to Want You» dans son dernier album, Lady in satin, pour entendre toute l’émotion et la souffrance de la chanteuse au gardénia blanc. Comme un testament.

    Elle est hospitalisée et meurt le 17 juillet 1959.


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Billie Holiday


Elle a des fleurs blanches dans les cheveux
Et des notes dans les poings,
Sa robe est bouclée de blues et de jazz.
Quand les lumières s’éteignent dans les petits clubs
Un silence profond se pose sur ses yeux.
Alors sa voix saigne,
Alors elle expire la douleur de ces fruits étranges
Dont les ombres s’étirent dans l’après-midi.
Alors elle se noie dans ses récoltes amères
Dans cette terre du coït esclavagiste
Où il y a la soie, où il y a les chaînes.


Elle a des fleurs blanches dans les cheveux
Et des ombres noires sur les joues.
Elle murmure la peur des cris qui montent,
Elle exsude la peur des chiens et des cordes
Qui luisent dans la lune claire.
Elle soupire les râles de la grande solitude
Quand frappe le fouet de la mort.
Sa voix se confond au cantique de son regard.
Elle chante les nœuds coulants et les chairs dispersées.
Sa voix tremble, sa voix se répand.
Elle profère la tragédie comme un art de la tristesse.


Quand Billie Holiday chante le grondement de la mort
Alors quelque part, tout près, un saxophone sanglote.



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  (1) Les paroles de «Strange fruit» sont d’Abel Meeropol, un enseignant juif d’origine russe, membre du parti communiste américain