Modifier





         Fri


             (1912 ----)

             Le bateau de la paix.



    En 1973, l'étrave d'une vieille goélette-cargo laboure les vagues de l'océan Pacifique et trace un long sillon de paix dans la transparence du pâturage bleu.
    Le bateau a quitté Whangerei, au nord d'Auckland (Nouvelle-Zélande) le vingt-quatre mars 1973. A son bord, treize personnes (3 femmes, 10 hommes) dont un pasteur nommé Gilbert Nicolas (1). La goélette vogue vers l'atoll français de Mururoa en Polynésie française pour y contester les essais nucléaires.
    Le bateau, qui se nomme Fri (2), a été construit au Danemark en 1912 et a été le plus souvent utilisé pour faire du cabotage (3). En 1971, grâce à l’écologiste américain David Moodie, il devient un instrument au service de la paix et de la sauvegarde de la planète.
    Fri, prend la route du sud et se heurte à une tempête qui le malmène. Le bateau prend l'eau et l'équipage doit pomper, jour et nuit, une tonne et demie d'eau à l'heure. Mais le rafiot tient bon. La route se poursuit avec les moyens du bord. Gilbert Nicolas raconte «qu'il n'y avait, à bord, qu'une simple carte marine du Pacifique, d'ailleurs, David Moodie, le capitaine, disait en plaisantant : "Si mes calculs sont exacts, nous sommes à 80 kilomètres à l'intérieur des terres". »

    L'atoll de Mururoa est en vue après quelques semaines de navigation et Fri y restera à capeyer en attendant le ralliement du bataillon de la paix.
    Pendant ce temps, en France, sous l’impulsion de Jean-Jacques Servan-Schreiber (4), Fri devient le symbole de l’opposition aux essais nucléaires. La contestation s’organise et envoie sur les lieux un bataillon de la paix composé du général Jacques Pâris de Bollardière (5), Jean-Marie Muller (6), Brice Lalonde (7) et de l’abbé Jean Toulat (8). La traversée se fait sur Arwen, un bateau de 48 pieds.
    Le quinze juillet, le transfert sur Fri est effectué.
    L’explosion de la bombe (9) est prévue pour le vingt et un juillet à neuf heures.
    Le dix-sept juillet, Fri est arraisonné dans la zone de sécurité (10) par l’aviso escorteur Doudart de Lagrée. Dans un ultime acte de contestation le capitaine du Fri se déshabille puis se jette à l’eau. Il est suivi par un deuxième homme. Finalement, tout le monde est arrêté manu militari puis confiné le temps des tirs.
    Fri est toué par le remorqueur de haute mer (RHM) Hippopotame jusqu’à Mururoa.
    Les membres de l’équipage sont emmenés à Hao puis à Papeete où ils entameront une grève de la faim qui durera vingt-trois jours (11).
    Ultérieurement, Fri sera rendu, saboté.

    La présence de Fri n’empêcha pas la France de poursuivre ses essais mais elle avait ouvert la voie à la contestation (12). Un an après cette opération, le gouvernement français a décidé de mettre fin aux expériences dans l’atmosphère (13).
    Fri restera, jusqu’en 1975, le bateau mère de la flottille protestant contre les essais nucléaires de la France en Polynésie.
    Après le Pacifique, en 1976, Fri poursuit son périple autour de la Planète pour des causes généreuses, au service de l’Homme. Il a participé à l’opération «Namibia» (14). Il a visité de nombreux territoires (Hiroshima, Nagasaki, la pointe Est de l’ex-URSS, la Chine, Bikini, Haïti, la Dominique…) en transportant chaque fois des dizaines de tonnes de médicaments, de nourriture, de vêtements….
    Aujourd’hui, Fri est retourné à Svenborg en Suède, là où il a été construit. Il est menacé de disparition et inlassablement, Gilbert Nicolas s’adresse à l’opinion publique en ces termes : « L’histoire de ce navire reflète les drames et les espoirs de tout un siècle. Pour le sauver de la dégradation progressive, il faudrait un petit miracle. Aura-t-il lieu ? La dégradation de la planète et la terreur ont leurs financiers généreux, l’écologie et la paix auront-elles les leurs ? »


          --------------------//--------------------


Fri


Fleur de mer, voiles de paix
Tu portes l’amour dans tes batailles.
Tu appareilles dans ton silence
Et tu portes la voix du monde
Au bout même du monde.


Tu as gravé le cri des oiseaux dans ton sillage
Et écrit sur tes voiles les vents de concorde.
Peut-être, étant un point de rencontre,
Es-tu l’étoile chère aux yeux des hommes
Dont tu portes la mémoire.


Tu es la liberté due au monde
Tu es l’écho du refus et de la résistance
L’ange sauvage qui bat dans nos artères.
De ton étrave, tu creuses des sentes nouvelles
Éloignées des infinies tortures.


Fri, enraciné dans les luttes
Fri, lumière d’une douleur secrète
Fri, souffle de l’offrande
Fri, épave de légende
Fri, radeau d’amour disloqué.



          --------------------//--------------------




  (1) A cette époque, Gilbert Nicolas, pasteur sans ministère, était docker à Marseille.
  (2) Fri, en Danois, veut dire "liberté".
  (3) Fri a aussi été utilisé pendant la guerre 39-45 pour transporter des juifs de l’Allemagne nazie vers l’Angleterre. Fri à sauvé environ 200 juifs. En 1954 c’est FRI qui inspecte, l’atoll de Bikini où les Etats-Unis ont réalisé leurs essais de bombe H.
  (4) Jean-Jacques Servan-Shreiber, fondateur de l’Express à 29 ans, était un militant antinucléaire.
  (5) Le général le plus médaillé de France. Opposant à l’utilisation de la torture pendant la guerre d’Algérie.
  (6) Ancien professeur de philosophie. Consacre sa vie à des travaux de recherche sur la non-violence.
  (7) Créateur des amis de la terre, avec Alain Hervé en 1971.
  (8) Journaliste. Auteur de nombreux ouvrages dont «La bombe ou la vie»
  (9) Chaque bombe porte un nom. Celle-ci s’appelle Euterpe et a une puissance de onze Kilo-tonnes . C’est la première d’une série de 6 cette année là.
  (10) Zone de 60 miles autour de Mururoa.
  (11) Le 22 juillet, le général de Bollardière sera directement évacué sur Paris au prétexte de raisons de santé. Le 31 juillet, en gage de protestation, il demande au Président de la République de le faire rayer de l’Ordre de la Légion d’Honneur.
  (12) Voir le film de François Reinhardt Ils vont arrêter la bombe sur Daily Motion.
  (13) A Mururoa et Fangatofa, 46 essais atmosphériques et 147 essais souterrains ont eu lieu de 1966 à 1996.
  (14) L'Opération Namibia, lancée en 1975 par le Philadelphia Namibia Action Group était une campagne internationale d'action directe non-violente pour attirer l'attention sur le contrôle illégal de la Namibie par l'Afrique du Sud en envoyant un voilier avec une équipe internationale en Namibie. Le bateau fournirait des livres utiles comme aide pratique, et défierait ainsi l'autorité sud-africaine dans la région, faisant pression sur l'Afrique du Sud pour se retirer.